Le Génocide

En 1915 et 1916, durant la première guerre mondiale, entre 1 200 000 et 1 500 000 Arméniens ont été tués sur place ou sont morts au cours de leur déportation, soit les deux tiers de la population arménienne vivant dans l'empire ottoman.
Le gouvernement turc est responsable de ce crime collectif, aboutissement d'un plan concerté. La longue histoire d'un peuple dont l'autonomie et l'identité ont souvent été mises à mal.
Tout peut être résumé dans cette confidence de Talaat Pacha (ministre de l'intérieur) : "j'ai accompli plus pour la résolution du problème arménien en trois mois qu'Abdul Hamid ne l'a accompli en trente ans!"

Petit rappel :
La présence des Arméniens sur un territoire situé au sud du Caucase et de la mer Noire et à l'est du plateau anatolien remonte au VIIème siècle avant J.C. Ces hauts plateaux au climat rude mais aux terres fertiles constituent un enjeu constant entre les empires perse, grec, romain et arabe qui se succèdent.
L'Arménie est tantôt un royaume indépendant,tantôt une province vassale.
– Entre le IVème et le VIIème siècle l'identité arménienne s'affirme puisque les Arméniens se dotent d'une religion, le christianisme; une langue, l'arménien et un particularisme religieux, le monophysisme.
– Au XIème siècle l'arrivée des turcs seldjoukides ruine le pays et contraint le peuple arménien à se réfugier en Cilicie, au sud-est de l'Anatolie.
– Au XVIème siècle les Turcs ottomans occupent la partie occidentale de l'Arménie tandis que l'est du pays reste aux mains des Perses séfévides.
Dans l'empire ottoman les Arméniens sont soumis à la loi coranique, la charia et sont à ce titre des " protégés " ou dhimmis : ils disposent de libertés religieuses et communautaires mais les droits fondamentaux d'exister et de posséder des biens ont un prix : payer de lourds impôts. Les Arméniens sont des citoyens de second ordre.
-Au XIXème siècle alors que l'empire ottoman menacé de déliquescence éveille les appétits des puissances européennes, se développe le nationalisme arménien. Les Arméniens demandent des réformes dans l'Empire et appellent les Européens à soutenir leur cause. La réponse du sultan Abdul Hamid ne se fait pas attendre : en 1895 et 1896 plus de 100 000 Arméniens sont massacrés.
A nouveau en avril 1909, peu après l'arrivée des jeunes turcs au pouvoir, alors que l'empire connaît des troubles politiques, des massacres, en Cilicie, sont perpétrés.

Genèse d'un génocide :
En 1914, après l'échec des négociations avec les Russes, la Turquie se range dans le camp de la Triplice (alliance réunissant l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie). Les Arméniens avaient annoncé dès le mois d'août qu'ils rempliraient leur devoir de citoyens ottomans. Néanmoins en novembre 1914 le djihad est proclamé par le sultan et dès le début des combats les Arméniens sont présentés comme des espions et des traîtres à l'empire. Les combats contre la Russie se déroulaient de part et d'autre de la frontière caucasienne, c'est à dire à proximité immédiate de l'Arménie. Les Arméniens furent encouragés par les Russes à constituer des légions combattant à leurs côtés et de nombreux Arméniens enrôlés dans les armées turques désertèrent. Après les premiers massacres de janvier 1915 et le développement d'une propagande anti arménienne, les premières déportations surviennent au début d'avril 1915 : les Arméniens de la région de Zeîtoun en sont les victimes.


Un crime organisé :
Le génocide proprement dit commence le samedi 24 avril 1915 à Constantinople par une rafle : 2345 Arméniens appartenant à l'élite intellectuelle sont arrêtés, et parmi eux, se trouvent des gens qui ont aidé les Jeunes Turcs à accéder au pouvoir. Ils seront exécutés sans jugement. Les hommes qui auraient pu organiser une résistance, l'intelligentsia arménienne, viennent d'être éliminés. Talaat Pacha (ministre de l'intérieur) envoie un télégramme codé aux cellules du parti des Jeunes Turcs :
"Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici."

Les gouvernements européens n'ignoraient en rien ce qui se passait alors dans l'empire Ottoman. La Grande Bretagne, la France et la Russie déclaraient conjointement le 23 mai 1915 à Londres : "Depuis un mois environ, la population kurde et turque d'Arménie procède, de connivence et souvent avec l'appui des autorités ottomanes aux massacres des Arméniens. De tels massacres ont lieu vers la mi-avril à Erzerum, Tertchan, Eguine, Bitlis, Mouch, Sassoun, Zeïtoun et dans toute la Cilicie. Les habitants d'une centaine de villages des environs de Van ont été assassinés et le quartier arménien est assiégé par des populations kurdes. En même temps, à Constantinople, le gouvernement ottoman a sévi contre la population inoffensive. En présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l'humanité et la civilisation, les gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime porte qu'ils tiendront personnellement responsables des dits crimes tous les membres du gouvernement ottoman, ainsi que ceux des agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres." (source : agence Havas)

Le 29 mai 1915, le Grand Vizir signe un mémorandum du 26 mai dans lequel le ministre de l'intérieur demande la promulgation d'une loi spéciale autorisant les déportations. La loi autorisait les commandants des armées et des garnisons locales à ordonner la déportation de groupes de populations suspectés d'espionnage, de trahison, ou pour nécessités militaires. Il suffisait pour cela que les autorités investies du pouvoir de décider les déportations ressentent (hissetmek) une impression d'agression ou de danger.
Cette autorisation vague mais générale entraîna la déportation massive de la population arménienne de Turquie. La loi provisoire de déportation fut abrogée le 4 novembre 1918 "à cause de son inconstitutionnalité". Ainsi le parlement turc annula une loi qu'il n'avait pas débattue ou approuvée auparavant, dans une période où la population visée par cette loi était déjà presque entièrement éliminée.
Au cours des mois de mai, juin et juillet 1915 tous les Arméniens des sept provinces orientales de l'Empire sont tués sur place ou déportés vers Alep, au sud . Des convois d'hommes, de femmes, de vieillards et d'enfants sont constitués et soumis à une longue marche dans des conditions épouvantables : sans eau, sans vivre et sans défense. Les gendarmes chargés de les escorter tuent les traînards, des nomades kurdes les volent, enfin des bandes organisées, les tchétés massacrent un grand nombre de déportés.
A la fin juillet 1915 la première partie du programme est réalisée : l'est de la Turquie est vidé de sa population arménienne. La seconde étape du plan est alors exécutée : la déportation des Arméniens vivant dans le reste de l'empire. Les ordres sont impitoyablement appliqués. Des ordres qui viennent de haut puisque le 15 septembre 1915, Talaat Pacha envoyait ce nouveau télégramme :
"Il a été précédemment communiqué que le gouvernement a décidé d’exterminer entièrement les Arméniens habitant en Turquie. Ceux qui s’opposeront à cet ordre ne pourront plus faire partie de l’Administration. Sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes, quelques tragiques que puissent être les moyens d’extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence."
Les massacres, la déportation de plusieurs centaines de milliers d'individus correspondent bien à la définition du génocide élaborée par " la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide " et adoptée le 9 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations unies (lire la déclaration). Le génocide est défini comme un ensembles d'actes " commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ". Le terme de génocide est employé pour la première fois par le juriste américain Raphaël Lemkin en 1944 à propos des crimes de l'Allemagne nazie, suite au crime perpétré par les nazis contre les Juifs. Les juristes ont réformé le droit pénal international et ont intégré la notion de génocide aux nouveaux textes juridiques. Or le crime perpétré par l'Ittihad ve Terraki ( parti alors au pouvoir en Turquie ) était bien prémédité, il correspondait bien à un plan concerté d'extermination des Arméniens. Les preuves abondent : les télégrammes adressés par les ministères de l'Intérieur ou de la Guerre, par le Comité central de l'Ittihad aux responsables provinciaux, les dépositions faites sous serment par des fonctionnaires civils et militaires ottomans lors du procès des responsables des crimes en 1919, le Livre bleu anglais publié en 1916 qui regroupe des rapports consulaires, des témoignages de civils neutres ou allemands, le Rapport Lepsius regroupant une documentation collectée par le pasteur, première synthèse publiée en 1915, enfin les souvenirs de témoins : Henry Morgenthau, ambassadeur des Etats-Unis, Harry Strumer et Henry Barby tous deux journalistes (voir section témoignage).

Plus d'un million de personnes ont péri. Pourtant le gouvernement turc conteste toujours l'intentionnalité du crime comme l'ampleur des massacres. Ce refus est vécu par les Arméniens comme une seconde mise à mort. L'Assemblée nationale a reconnu récemment le génocide arménien.

Voir quelques photos

Pour en savoir plus:
arrowr Site du Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA)
arrowr L'Histoire n°187, avril 1995, qui comprend un dossier fort intéressant sur le massacre des Arméniens.
arrowr Gérard Chaliaud, Yves Ternon, "le Génocide des Arméniens"
"1915" , Ed. Complexe, collection la mémoire du siècle, 1984. Ce livre commode et clair permet de connaître les principaux éléments de la question.
arrowr Yves Ternon, "Les Arméniens – Histoire d'un génocide" , Ed. du Seuil, 1977. Livre maître sur le sujet écrit par le meilleur spécialiste de la question.
arrowr Yves Ternon, "L'Etat criminel. Les génocides au XXe siècle" . Ed. du Seuil,1995 – ouvrage de synthèse et de réflexion sur le rôle de l'Etat dans les génocides perpétrés au XX siècle.
arrowr Le site de l'université américaine du Kansas contient d'impressionantes ressources en anglais (copie complète de livres, certains concernant le génocide).