L’ascension du mont Ararat (2/6)

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Un pacha de Bayazid, le père et le prédécesseur du pacha actuel, Mohamed-Bahaluhl, résolut un jour, il est vrai, de s'assurer si le sommet de l'Ararat était ou non accessible aux mortels, et non-seulement il essaya de résoudre par lui-même ce problème, mais il offrit une forte récompense à quiconque lui en apporterait la solution. Il ne dépassa pas les limites que ne peut franchir un bon cheval persan, et l'appât du gain ne tenta aucun de ses subordonnés. Les Persans aiment trop la chaleur, le repos et leur bien-être, pour s'élever jamais volontairement, par curiosité ou dans l'intérêt de la science, au-dessus de la ligne des neiges éternelles. L'essai malheureux du pacha de Bayazid, qui n'avait certes pas subi les influences des préjugés religieux des Arméniens, confirma l'opinion généralement répandue qu'il était impossible et défendu à l'homme de parvenir au sommet de l'Ararat.
Ainsi depuis la création du monde jusqu'à ces dernières années, aucun être humain n'avait visité ce point élevé du globe où, selon la tradition chrétienne, Par le patriarche de Noé s'est arrêtée après le déluge, et où ses débris auraient été miraculeusement conservés. Ce ne fut qu'en 1829 que le docteur Friedrich Parrot, professeur de physique à l'université de Dorpat, prouva au monde savant -ce que d'autres voyageurs, lui ont également démontré depuis -que l'ascension du mont Ararat était permise et possible", tout aussi bien que celle du Mont-Blanc. Les intéressants détails que l'on va lire sont extraits de sa relation publiée en allemand en 1834. (…) Le 30 mars 1829, tous ses préparatifs terminés, il partit de Dorpat, accompagné de MM. de Behaghel d'Adlerskron, de deux élèves de l'Université, MM. Julius Hehn et Karl Schiemann, et d'un jeune astronome d'un mérite éminent, M. Vassili, Fedorow, que le gouvernement Russe lui avait adjoint. Avant de se mettre en route, il avait soumis son projet à l'appréciation de I'empereur, qui s'était empressé de l'approuver en ces termes : " Ce projet a ma pleine et entière approbation. Qu'un feldjâger (courrier ou guide militaire), d'une fidélité éprouvée, accompagne l'expédition et reste au service des voyageurs jusqu'à leur retour."
Le 20 septembre seulement, l'expédition, partie le Il avril de Dorpat, arrivait au monastère d'Etchmiadzin, situé au milieu de la plaine de l'Araxe, à 35 milles de l'Ararat, à 3,035 pieds au-dessus du niveau de la mer Noire, et à quelques lieues d'Erivan. Elle y fut on ne peut mieux accueillie, et elle s'y reposa de ses fatigues passées en s'y préparant à ses fatigues futures. Le docteur Parrot donne peu de détails sur cette partie de son voyage(…). Ce fut le 22 septembre , à 10 heures du matin, que le docteur Parrot partit d'Etchmiadzin pour entreprendre l'ascension du grand Ararat. Outre les noms dont il a été parlé plus haut, il emmenait avec lui un jeune diacre nommé Khachatur Abovian, – Khachatur, le fils d'Abov, – qui parlait l'arménien, le russe, le tartare et le persan, et devait lui servir d'interprète. Au sortir du couvent, il se dirigea vers le sud, dans la direction de l'Araxe, sur une plaine en partie inculte, en partie cultivée, mais cou,verte d'herbes et de pâturages, où il bivouaqua pendant la nuit. Le lendemain, à onze heures du matin, il atteignit Arguri, village arménien de 1,000 habitants, situé au fond de la grande crevasse que l'Ararat, dans ses commotions volcaniques, a entrouverte en déchirant son sein. Ce fut là que, selon la tradition, Noé, descendu de l'Ararat avec ses fils, " bâtit un autel à l'Éternel, et prit de toute bête nette et de tout oiseau net et en offrit des holocaustes sur l'autel. Ce fut là aussi, dit-on, que, ~ laboureur de la terre, il commença à planter la vigne. " Le nom du village .prouve que cette seconde tradition est fort ancienne. Arghanel en arménien signifie planter; – argh veut donc dire il planta, – et urri signifie vigne. Il. Parrot ne s'arrêta à Arguri que le temps nécessaire pour s'y procurer des boeufs. Le soir du même jour, il arrivait avec tous ses bagages au monastère arménien de Saint Jacques, situé à un mille et demi environ au-dessus d'Arguri, sur le versant septentrional de l'Ararat, et où il s'était proposé d'établir son quartier général.
"Ce monastère, dit M. Dubois de Montpéreux, qui la visité postérieurement, n'est qu'une petite chapelle assise sur le bord d'une terrasse naturelle, à quelques centaines de pieds au-dessus du fond de la crevasse. L'église est entourée de quelques huttes où logent les moines qui la desservent, et quelques arbres ombragent ce groupe pittoresque d'édifices. Excepté ce peu de verdure et celle que produisent les jardins d'Arguri, il n'y a pas un seul arbre sur toute la montagne du grand Ararat. C'est à la lettre, si on excepte un antique saule rabougri, replié par la neige et par les glaces. On le voit isolé au-dessus du village. Les habitants assurent que c'est une planche de l'arche Noé qui a pris racine et qui a produit cet arbre, qu'ils vénèrent. lis ne souffrent pas qu'on lui fasse le moindre dommage, ni même qu'on emporte un de ses faibles rameaux. Le petit Ararat est aussi nu que le grand, à l'exception d'un petit bouquet, de huit minutes de tour, de bouleaux nains qui croissent au pied, vers le nord."
"La crevasse ou fente énorme au fond de laquelle coule le ruisseau d'Arguri, se partage au-dessus du monastère de Saint-Jacques, en deux branches : l'une se dirige vers le coeur de la montagne, tandis que l'autre la flanque à droite : c'est dans cet embranchent qu'on remarque encore quelques ruines d'habitations abandonnées."
"Tournefort a vu au fond de ces précipices des tigres qui habitaient ces solitudes et qu'on tuait pour les peux qu'on envoyait en Perse; aujourd'hui il n'y en a pas un sur l'Ararat. Les seuls animaux sauvages qui viennent brouter l'herbe maigre de ces déserts sont des chèvres ou des brebis."
Le lendemain de son arrivée au monastère de Saint Jacques, à sept heures du matin, M. Parrot se mit en route pour l'Ararat avec M. Schiedam. Ils étaient accompagnés d'un Cosaque et d'un paysan d'Arguri, un chasseur, nommé Isaac, – qui connaissait bien la montagne. Au bout de deux heures de montée, le Cosaque déclara qu'il se Sentait incapable d'aller plus loin; on le renvoya au monastère; mais le chasseur montra plus de bonne volonté et de courage.

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