L’ascension du mont Ararat (4/6)

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Le lendemain de son retour au monastère de Saint Jacques, le docteur Parrot avait un léger accès de fièvre, qui céda heureusement à une diète sévère. Sans perdre une minute, il s'occupa des préparatifs de la seconde tentative qu'il se proposait de faire pour monter jusqu'au sommet de I'Ararat. Il répara son thermomètre, il engagea à son service des paysans et des bêtes de somme, il amassa des provisions, etc.. Enfin le 30 septembre, six jours seulement après cette descente qui avait failli lui coûter la vie, vers huit heure et demie du matin, il se remit en marche, emmenant avec lui M. Von Behaghel, M. Schiemann, le diacre Abovian, quatre paysans arméniens d'Arguri, trois soldats russes du 4ème régiment de chasseurs, et d'homme chargé de la conduite de quatre boeufs. Avant de partir, il avait fait bénir, et oindre d'huile sainte par l'archimandrite, une croix en sapin, de dix pieds .. de longueur, peinte en noir, qu'il avait apportée d'Etchmiadzin pour la planter au sommet de l'Ararat.
Cette seconde tentative ne devait pas réussir mieux que la première. La petite caravane parvint cependant sans avoir eu à surmonter de grandes difficultés, la ligne des neiges éternelles; mais, à partir de là dit M. Parrot, "après que nous eûmes monté environ deux cents pas, la roideur de la pente augmenta à tel point que nous fûmes obligés de tailler des pas dans la glace avec de petites haches. Celui qui montait le premier faisait seulement une marche suffisante pour lui permettre de s'élever plus haut; ceux qui le suivaient élargissaient cette marche chacun à son tour, de sorte qu'un bon chemin était préparé pour la descente car alors le pied a besoin d'un point d' appui plus étendu et plus sûr qu'à la montée. "
Cette nécessité absolue où ils se trouvaient de tailler se des pas dans la glace à mesure qu'ils montaient jointe aux difficultés extraordinaires que présentait le transport de la croix, ne permit pas au docteur Parrot et à ses compagnons de s'élever de plus de 600 pieds par heure dans la région des glaces éternelles, bien que dans la région des roches ils eussent dans le même espace de temps monté d'environ 1,000 pieds. Après avoir tourné une pente trop roide pour être gravie, ils durent s'arrêter quelques instants devant une crevasse de 5 pieds de largeur, et si longue qu'ils ne purent pas en distinguer à l'oeil nu les extrémités. Heureusement, ils finirent par y découvrir un pont de neige qu'ils traversèrent avec d'autant plus de peine, cependant, que le bord supérieur de cette crevasse était plu élevé que le bord inférieur. Dès qu'ils eurent tous franchi ce difficile et dangereux passage, ils gravirent me pente douce, et ils se trouvèrent sur une plaine de neige presque horizontale, d'ou s'élevait le sommet de l'Ararat ; mais ils crurent prudent de rebrousser chemin. D'après leurs calculs, il leur fallait encore trois heures de marche forcée pour atteindre le sommet, le jour était déjà avancé, et depuis quelques instants soufflait avec violence un vent humide qui leur faisait craindre un ouragan de neige. lis ne redescendirent pas cependant sans avoir planté sur ce plateau la croix qu'ils avaient apportée avec tant de peine. On tailla dans la glace un trou de 2 pieds de profondeur, et on y fixa cette croix avec des morceaux de glace et . de neige. L'endroit où on la planta était visible d'Erivan, sinon. du monastère d'Etchmiadzin ; comme elle était peinte en noir, elle se détachait sur le glacier éclatant de blancheur qui couronne le sommet de l'Ararat, et qui la dominait, de sorte qu'avec un bon télescope on, devait l'apercevoir de la plaine. Avant de la dresser on y avait attaché solidement, à l'aide de fortes vis, une plaque de plomb pesant 25 livres, et portant l'inscription suivante :

NICOLAO PAULI FILIO
TOTIUS RUTHENIAE AUTOCRATORE
JUBENTE
HOC ASYLUM SACROSANCTUM
ARMATA MANU VINDICAVIT
FIDEI CHRISTIANE
JOANNES FREDERICI FILIUS
PASKEWITSCH AB ERIVAN
ANNO DOMINI MDCCCXXVI.

Cette cérémonie achevée, le docteur Parrot suspendit son baromètre à la croix, afin de déterminer l'élévation où il se trouvait au-dessus du niveau de la mer, et s'il ne se trompa point, il avait atteint une hauteur de 16,028 pieds. Ils jetèrent tous ensuite un dernier regard vers le sommet, et ils redescendirent sans accident, avant la nuit, jusqu'à un plateau appelé Kip-Ghioll. Les chevaux, les boeufs et les conducteurs les y attendaient. Ils s'y réchauffèrent avec plaisir autour d'un bon feu ; car à peine étaient-ils sortis de la région des neiges éternelles qu'elle avait été recouverte derrière eux d'une couche épaisse de neige à moitié fondue; puis, après avoir pris leur repas du soir, ils cherchèrent des abris pour la nuit sous les blocs de rochers éparpillés sur, ce plateau de gazon, et le lendemain, 2 octobre, vers dix heures du matin, ils étaient de retour au monastère de Saint-Jacques.
Le docteur Parrot était moins découragé que jamais. Cette- seconde tentative lui avait prouvé, encore plus évidemment que la première, que le sommet de l'Ararat était accessible. Aussi, dès qu'il fat redescendu, il songea à remonter.
Le 8 octobre, il repartit à la tête de sa petite escorte. Un peu avant midi il atteignait le plateau de Kip-Ghioll; après y avoir déjeuné et s'y être reposé environ une heure et demie, il en repartit, en s'éloignant un peu de la direction qu'il avait suivie dans son ascension précédente. Bientôt les boeufs refusèrent de marcher; on les déchargea, et chaque homme ayant pris sur son dos sa part de provisions, de couvertures et de combustibles, on les renvoya avec leur conducteur. Vers cinq heures du soir on campait à 13,800 pieds au-dessus du niveau de la mer, 730 pieds plus haut que dans la seconde ascension. C'était une avance considérable pour la journée du lendemain. Un feu fut aussitôt allumé, dit le docteur Parrot, et on prépara quelque chose de chaud pour le dîner. Quant à moi, je me contentais d'une soupe à l'oignon, repas que je ne saurais trop recommander à tous les voyageurs qui gravissent de hautes montagnes, comme extrêmement réchauffant et réconfortant, et bien préférable à la viande, ou aux soupes faites avec de la viande. -Malheureusement Abovian ne put pas prendre sa part de cet excellent repas, car c'était un jour de fête et un jour de jeûne!… Les autres Arméniens jeûnèrent aussi strictement que lui, et se contentèrent d'un peu de pain et d'un peu d'eau de vie…

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